par Jean-Louis Tison

Une des informations les plus fondamentales que nous pouvons extraire des carottages de glace est la température qui existait lorsque la neige se déposait à la surface de la calotte polaire. Aujourd’hui, nous allons tenter de mieux comprendre le principe de ce « thermomètre du passé » (Paléo-thermomètre).

Un petit rappel de chimie de base (Haaa, le bon vieux temps de l’école secondaire !) : La glace, c’est de l’eau solide (H2O). Elle est constituée d’un assemblage d’atomes d’Oxygène et d’Hydrogène. Les atomes sont caractérisés par un noyau, formé de protons et de neutrons, et d’électrons qui gravitent autour du noyau. Le nombre de protons (nombre atomique) dans le noyau détermine le nom de l’atome. L’oxygène a 8 protons dans son noyau et l’hydrogène seulement 1 proton. Cependant, il existe différentes versions de l’atome d’oxygène et d’hydrogène, en fonction du nombre de neutrons présents dans le noyau. Moins de neutrons dans le noyau rendront l’atome plus léger, plus de neutrons rendrons l’atome plus lourd. Nous appellerons ces différentes versions d’un même atome des « isotopes ».

Une molécule d’eau contenant des isotopes plus légers de l’oxygène sera plus légère qu’une molécule d’eau contenant des isotopes plus lourds de l’oxygène. La Nature a tellement bien fait les choses pour les scientifiques qu’il existe une relation simple (linéaire) entre la température à laquelle la neige s’accumule à la surface de la calotte glaciaire et la proportion de molécules d’eau lourdes et légères dans la neige : Plus basse sera la température, plus importante sera la proportion de molécules d’eau légères dans la neige et vice-versa. Ceci est illustré dans la Figure 1 pour l’Antarctique et le Groenland. Les scientifiques quantifient la proportions d’isotopes légers et lourds dans les molécules d’eau par le symbole d18O (pour l’oxygène, ou la version lourde la plus abondante est 18O, comparée à l’isotope léger dominant 16O). Quand d18O est négatif, l’échantillon de neige (ou de pluie) contient moins d’isotopes lourds de l’oxygène que la “référence”, qui est de l’eau océanique standard (la plus abondante à la surface de la Terre), et vice versa. Donc, en bref, plus la valeur d18O de la neige est négative, plus basse est la température quand la neige tombe à la surface de la calotte

glaciaire, et cette relation est linéaire (voir Figure 1). Le même sera vrai pour d2H (aussi écrit dD, D pour Deutérium, la version lourde de l’hydrogène qui comporte deux neutrons dans son noyau).

Figure 1 : la relation linéaire entre le d18O (or dD) de la neige et la température de l’air quand elle tombe à la surface de la calotte glaciaire.

Pour chaque couche successive de notre carotte de glace, nous pouvons donc mesurer la proportion d’isotopes lourds et d’isotopes légers de l’oxygène (d18O) et/ou de l’hydrogène (dD) dans la neige (devenue glace) pour reconstruire la température qui existait au moment où cette couche de neige était à la surface de la calotte. C’est le principe du paleo-thermomètre.

La beauté de la chose, c’est que cela fonctionne à toutes les échelles de temps : par exemple, nous verrons clairement la différence entre une période glaciaire (très froide, avec des valeurs très négatives de d18O ou dD) et une période interglaciaire (très chaude avec des valeurs beaucoup moins négatives de d18O ou dD), sur de longues échelles de temps (e.g. 100000 ans). Mais pas seulement !….nous pourrons également discriminer les chutes de neige d’été (plus chaud) et d’hiver (plus froid) de chaque année. Ce fait est crucial, car il va nous permettre de « compter les années », et ainsi de dater la carotte de glace à partir de ces fluctuations saisonnières du signal des isotopes stables de l’eau (d18O ou dD), comme on peut le voir sur la Figure 2.

En mesurant l’épaisseur de glace qui existe entre deux pics (ou deux creux) du signal saisonnier de d18O ou dD nous serons capables de reconstruire l’histoire l’intensité des chutes de neige annuelles à la surface de la calotte antarctique au cours des derniers siècles, un des buts principaux du projet Mass2Ant, comme vous l’avez maintenant bien compris !

Figure 2 : Un exemple de profils du d18O (courbe noire )et dD (courbe bleue claire) entre 20 et 30 m dans la carotte du Derwael Ice Rise, au voisinage des lieux de carottage du projet Mass2Ant (Philippe et al., 2015). Cet intervalle de profondeur couvre 10-11 ans d’accumulation, comme le montrent les fluctuations saisonnières des isotopes stables de l’eau (d18O.et dD)…”Rendez-vous” dans l’un de nos prochains blogs pour comprendre la signification des autres profils sur la figure!